
Ce matin est parue dans Libération une lettre au directeur des Rencontres d’Arles l’interpellant sur le manque de femmes exposées. J’en suis l’initiatrice et c’est aidée par d’autres photographes que cette tribune a reçu un grand nombre de signatures. La voici ici. La version papier sera disponible en kiosque mardi 4 septembre 2018.
Je voudrais répondre à des remarques attendues et anticipées formulées par quelques acteurs du monde de la photo francais.
« Pourquoi faire une lettre publique et ne pas en parler directement au directeur des Rencontres d’Arles ? »
A sa nomination, j’ai écrit publiquement une lettre au nouveau directeur par le biais de mon blog Atlantes et Cariatides en l’informant de la situation des Rencontres d’Arles sur ce sujet et en espérant qu’il ferait mieux qu’à son précédent poste et que son prédécesseur, François Hébel.
En juillet 2018, à la fin de la semaine des Rencontres, il m’a appelé et nous avons longuement parlé. Il m’est clairement apparu qu’il ne saisissait pas complètement les enjeux. Les semaines suivantes, j’ai vu apparaître dans des groupes de discussions français et internationaux des appels à boycott, des appels à manifestations durant les rencontres 2019. Cela signifie que personne ne pense qu’en 2019 les femmes seront mieux traitées dans le festival. Je n’ai pas voulu attendre encore une année d’où cette initiative qui a été longuement discutée dans ces groupes avant d’être envoyée à Libération.
« Les quotas, la parité, ce n’est pas sérieux. C’est le talent, la qualité qui comptent. Ca va se retourner contre les femmes»
En ce qui concerne la parité, c’est ce que j’ai pensé il y a quelques années avant de très sérieusement me pencher sur les raisons qui invisibilisent les femmes. Il y en a de très nombreuses, complexes. Je vous invite à regarder l’entretien avec la sociologue Marie Buscatto qui explique très clairement les mécanismes à l’œuvre. Une chose est sûre : rien ne change dans les mondes de l’art sans une volonté politique contraignante. C’est pourquoi je vous invite à prendre connaissance de la feuille de route du Ministère de la Culture : un moment historique. Ces contraintes n’ont pas vocation à demeurer mais existerons tant que ce sera nécessaire.
En ce qui concerne le talent et la qualité, il faut ici poser clairement que le talent n’est pas une composante du chromosome Y. Ca vous fait rire ? C’est pourtant une croyance encore bien ancrée. Le talent est une construction sociale variable dans le temps et les cultures et il est nécessaire de le questionner.
Chaque avancée des femmes est souvent suivie d’une offensive réactionnaire. Au lieu de menacer en prédisant un fatal retour de bâton, il appartient à chacun·e de faire en sorte que ça n’arrive plus.
Enfin, je vous invite à regarder le film (à 10’) « Ni vues ni connues, comment les femmes font carrière (ou pas) en photographie », ainsi que la soirée éponyme organisée par Jean-Luc Monterosso et moi à la Maison Européenne de la Photographie à Paris en 2015.
Pour cette lettre, j’ai souhaité directement communiquer avec les signataires. La mobilisation montre une immense exaspération. Les Rencontres d’Arles ne sont malheureusement pas le seul festival à ainsi maintenir un plafond de verre aussi bas pour les femmes. Cette mobilisation est un encouragement aux responsables à changer leurs pratiques d’un autre siècle. Il ne s’agit pas d’une « chasse à l’homme » mais de l’affirmation calme que nous ne resterons plus dans les marges.
Marie Docher
Photographe, réalisatrice.
créatrice de visuelles.art
https://www.helloasso.com/associations/territoires-en-marge/collectes/visuelles-art-ce-que-le-genre-fait-a-l-art/widget-vignette
Bonsoir,
Quand on est partisan·e du libre arbitre c’est dur à dire et à penser cette histoire de quota ou de cadre légal pour tenter de résoudre le problème. C’est humiliant pour nous et violent pour ceux qui n’y ont pas réfléchi. Mais ce que nous vivons depuis des siècles étant autrement plus violent et humiliant, toutes les tentatives pour faire changer la situation sont bonnes à prendre, à mon avis.
Puisque les hommes de pouvoir qui nous soutiennent dans ce combat (qui est le combat de toutes et tous contre l’idée même d’une quelconque domination d’un être vivant sur un autre en réalité, et non pas la revendication d’un groupe) sont encore minoritaires, et que les femmes travaillant à de tel postes à responsabilité se comptent sur les doigts d’une main et ont parfois intégré la domination à leur tour, je crois comme vous que seule la contrainte peut fonctionner. On l’a vu pour les questions écologiques (sacs plastiques au supermarché, circulation alternée), ces méthodes coercitives plus une sensibilisation au quotidien par chacun·e de nous permettent que les individus réussissent peu à peu à changer de regard puis d’habitudes. Et toutes les luttes sont connectées, donc ce qui sera gagné en ouverture d’esprit et rééquilibrage pourra probablement bénéficier à d’autres situations insoutenables telles que xénophobie, racisme, homo et transphobie, etc. Nous sommes un océan d’invisibles!
Votre lettre m’a tout de suite fait penser au discours de Carole Thibaud lorsqu’elle a refusé son Molière cette année à Avignon. Il est d’autant plus puissant qu’elle s’est armée de chiffres aussi parlants qu’irréfutables, ce qui a beaucoup plus sensibilisé certains amis que son ressenti. Ils ont vraiment pris la mesure de l’inégalité à ce moment. Vous le connaissez sûrement déjà, mais au cas où, je vous mets le lien ici:
Bravo pour votre initiative. Et courage pour les deux mille objections qui vous attendent!
Merci pour votre message. Oui bien sûr que je connais l’intervention poignante de Carole Thibaud à Avignon ! je ressens la même quand je reçois les demandes de signatures. L’exaspération est là et il faut que les responsables y mette fin.